Assignation à résidence : du bracelet électronique aux chaînes socio-économiques - Maud Lucien
- Maud Lucien

- 6 févr.
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 16 sept.
Maud Lucien finalise actuellement une exposition sonore et photographique sur la thématique de l’assignation à résidence. (Un aperçu de cette expo est à déguster dans la noix : « Assignée à résidence ».)
Dans la "noix à décortiquer" ci-dessous, Maud présente la notion d’assignation à résidence d’un point de vue socio-géographique.

Cet article explore la notion d’assignation à résidence sous ses multiples formes, en dépassant une simple perspective pénale pour en arpenter les dimensions sociales, économiques, culturelles, psychologiques et numériques.
L’assignation à résidence pour raison pénale : le cas du bracelet électronique
L’assignation à résidence imposée par la Justice oblige à rester dans un territoire précis (du territoire national à sa résidence de particulier, selon les raisons de l’assignation).

La notion juridique d'assignation à résidence n’est pas forcément pénale. Notamment, elle concerne les étrangers sous OQTF en attente de leur renvoi hors de France. https://www.lacimade.org/publication/fiche-reflexe-assignations-a-residence-expulsion/
Dans le cadre pénal, le bracelet électronique est devenue une pratique courante pour aménager les peines de prison courtes. Depuis les réformes de 2020, on ne parle plus de PSE, placement sous surveillance électronique mais plutôt d'ARSE : assignation à résidence sous surveillance électronique, lorsque la personne n'est pas encore jugée (c'est du pré-sentenciel) et de DDSE : détention à domicile sous surveillance électronique, comme modalité d'exécution d'une peine d'emprisonnement.
Ces dispositifs consistent à fixer un bracelet à la cheville des personnes, associé à un boîtier connecté qui permet de surveiller à distance qu’elles restent dans le périmètre qui leur est imparti.
Durant les heures de sortie autorisées, la personne se déplace où elle veut, il n'y a pas de géolocalisation. Le reste du temps, son périmètre est réduit à l'espace de son domicile.
Les conditions de logement influencent fortement la perception et l’efficacité de cette assignation.
Une personne vivant dans une maison avec jardin peut bénéficier d’une grande surface, alors qu’un détenu dans un logement exigu, comme un appartement en zone urbaine dense, peut être confiné dans quelques mètres carrés, possiblement partagés avec de nombreux proches.
Selon le rapport de l’Observatoire international des prisons, près de 20 000 personnes étaient sous bracelet électronique en France en 2020, souvent dans des conditions précaires, avec des logements très variés, allant de petits appartements en centre-ville à des habitats insalubres en périphérie.
Au 01/08/2025, 17407 personnes étaient sous DDSE aménagement pour donner les chiffres de l'administration pénitentiaire: https://www.justice.gouv.fr/sites/default/files/202508/statistique_etablissements_personnes_ecrouees_01082025.pdf
Au 31/12/2024 : 646 ARSE, 1.115 DDSE peine : ce sont les chiffres du ministère de la Justice pour le milieu ouvert https://www.justice.gouv.fr/documentation/etudes-et-statistiques/statistiques-trimestrielles-milieu-ouvert)
Ce contexte montre que l’assignation à résidence n’est pas seulement une mesure légale, mais aussi une expérience quotidienne marquée par des inégalités sociales et économiques. La précarité matérielle, comme le souligne également l’Observatoire des inégalités en 2017, accentue le sentiment d’un enfermement moral et matériel, qui contribue à renforcer la marginalisation au détriment de l’insertion.
L’assignation à résidence pour raisons socio-économiques


La Banque mondiale (2020) estime que près de 9 % de la population mondiale vit dans l’extrême pauvreté, incapable de couvrir ses besoins fondamentaux, notamment en matière de logement, de transport ou de santé.
Les personnes pauvres sont généralement confinées dans des quartiers défavorisés ou isolées en zones rurales , avec un accès (très) restreint aux opportunités, ce qui limite leur mobilité sociale aussi bien que géographique et reproduit les inégalités de génération en génération.
Ainsi, beaucoup sont assignées à résidence que ce soit par manque de transport leur permettant de sortir souvent de leur « périmètre » (sans les moyens de posséder une voiture et sans transport en commun bon marché, on reste sur place) ; mais également par l’absence de changement réel de "résidence" lorsqu’elles réussissent à déménager d’un endroit à un autre (rien ne ressemble plus à une cité de banlieue qu’une autre cité de banlieue).
L’assignation à résidence par obligation familiale ou professionnelle
Une personne peut être obligée de rester dans un territoire limité pour ne pas s’éloigner de sa famille ou de celle de son conjoint, pour bénéficier d’un cadre scolaire ou de santé approprié à ses besoins, pour maintenir un emploi stable, parce qu’elle ne trouve pas de travail ailleurs, etc.
Selon une étude de l’OCDE (2019), la stabilité du conjoint ou la proximité des écoles influence fortement la mobilité géographique des familles, souvent au détriment de leur développement personnel ou professionnel.
L’assignation à résidence pour raisons socio-culturelles
Assignation par le genre
Dans de nombreux pays, les normes patriarcales imposent aux femmes de rester à la maison, limitant leur mobilité et leur accès à la vie sociale, aux loisirs, à l’éducation ou à l’emploi.
Assignation par le mode de vie et d’administration sociétale dominants : le cas des gens du voyage

En France, les gens du voyage subissent la culture sédentaire dominante au détriment de leur(s) culture(s) nomade(s) qui tend à disparaître. Leur liberté de voyager est soumise à un titre de circulation ainsi qu’a une domiciliation dans une commune de rattachement. Un carnet de circulation est délivré par la préfecture, il doit être visé régulièrement sous peine de sanctions pénales ou d’amendes. Ce carnet de circulation permet l’admission sur les aires d’accueil.
Depuis la loi Besson de 1990 les communes de 5000 habitants doivent aménager des espaces d’habitat pour les accueillir, de manière à lutter contre le stationnement dit « sauvage ».
La pénurie des places disponibles sur les aires d’accueil incite des familles à occuper ces places de manière durable. En effet, quitter son emplacement, même de manière temporaire (par exemple pour se rendre aux regroupements festifs tel la « fête des Gitans » aux Saintes-Maries-de-la-mer), le libère. Le risque est de ne pas en trouver un autre - ou pas dans la commune de rattachement - et de mettre les familles dans des situations d’illégalité, de perte d'emploi, de suivi de scolarité,..
Une "assignation à résidence" générée par les entraves d'une culture sédentaire hégémonique qui, par désir de contrôle, manque d'intérêt envers une minorité ou par incompétence, a pour conséquence d'affaiblir grandement la pratique et la transmission de cultures nomades séculaires.
L’assignation à résidence pour raison de santé ou de neuroatypie

Ne pas pouvoir se déplacer physiquement facilement (douleurs, motricité restreinte, manque d’aménagements adaptés à un handicap corporel), ou ne pas pouvoir supporter certaines situations à cause d’une problématique de santé mentale (dépressions, phobies, psychoses,..) ou de neuroatypie (TDAH, hypersensibilités, …) obligent des personnes à limiter le périmètre de leurs déplacements (un escalier est une torture pour les genoux de beaucoup de personnages âgées, le métro n’est pas envisageable pour des hypersensibles au bruit, des agoraphobes, ou des asthéniques sévères, etc.).
Souvent, à l’impossibilité due à l’état de santé ou aux spécificités neuroatypiques, s’ajoute un retrait des territoires de la vie publique, ceci en mesure d’évitement des stigmatisations sociales liées aux handicaps, maladies mentales, comportements atypiques.
L’assignation à résidence numérique
Une forme particulière d'assignation à résidence a émergé dans le domaine virtuel avec l'avènement des nouvelles technologies numériques.
Nous pouvons nous retrouver "assignés" à des espaces numériques spécifiques par le biais de notre utilisation des réseaux sociaux numériques et des plateformes en ligne.
Ce phénomène est lié à la création de « bulles informationnelles ». En tant qu’utilisateurs et par le biais des algorithmes, nous interagissons principalement avec des contenus qui confirment nos croyances et nos opinions, ce qui limite notre exposition à des perspectives divergentes.
La digitalisation peut créer une forme d’assignation virtuelle, où l’individu reste enfermé dans des espaces numériques, souvent déconnectés de la réalité.
Cette assignation à résidence numérique entraîne pour beaucoup d’internautes un isolement social réel.
Et plus généralement, l’auto-assignation à résidence à laquelle nous sommes quasi tous confrontés
L'assignation à résidence peut revêtir une dimension psychologique.
Des expériences traumatiques, ou encore des troubles de santé mentale peuvent conduire des personnes à se retirer de la vie publique, ce qui restreint les lieux où elles se rendent et crée une forme d'isolement auto-imposé.
Plus généralement, malgré nos déplacements et nos efforts pour explorer de nouveaux horizons, nous finissons par nous retrouver dans des milieux similaires.
Que ce soit en changeant de ville, de région ou même de pays, certains environnements, comportements ou cercles sociaux semblent se répéter.
Ce qui témoigne de la puissance des dynamiques versus les inerties, sociales et culturelles.
Conclusion
L’assignation à résidence, qu’elle soit pénale, socio-économique, virtuelle ou psycho-sociologique fait apparaitre comment les structures sociétales façonnent nos trajectoires et nos espaces de vie, souvent de manière invisible.

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Références et crédits
Contribution de : Maud Lucien (artiste indisciplinaire et, ici, géographe humaine). Pour en savoir plus : comme elle est aussi rédac' cheffe des Noix, sa présentation se trouve : ICI )
Images : photos et dessin de Maud Lucien
Quelques sites ressource :
ARSE (assignation à résidence sous surveillance électronique) : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F2007
DDSE (détention à domicile sous surveillance électronique) : https://cabinet222-avocat.com/bracelet-electronique-ddse-tout-comprendre-en-5-minutes/
Observatoire international des prisons (OIP) : https://oip.org/
OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), données et rapports à propos de mobilité et emploi : https://www.oecd.org/fr/


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